CHIRURGIE CAROTIDIENNE : ANESTHESIE GENERALE OU ANESTHESIE LOCO-REGIONALE ?

Dr Emmanuel Salles
CH Saint philibert, rue du Grand But , 59462 LOMME

L'endartérectomie (TEA) carotidienne concerne les plaques sténosantes d'origine athéromateuse touchant le plus communément la bifurcation carotidienne et l'origine de l'artère carotide interne. Cette chirurgie a connu un développement rapide dans les années 80 et fait partie des chirurgies vasculaires les plus communes. Les sténoses carotidiennes entraînent une réduction du flux sanguin et des migrations emboliques responsables des trois quarts des accidents vasculaires cérébraux (AVC) transitoires ou constitués. Ces AVC sont à l'origine d'une mortalité et d'une morbidité importante aux conséquences sociales et financières non négligeables.

L’anesthésie générale, traditionnellement la plus utilisée, et l’anesthésie loco-régionale, permettent la prise en charge opératoire des candidats à la chirurgie carotidienne. Ces deux techniques seront détaillées dans ce travail.

LES CARACTERISTIQUES DE LA CHIRURGIE CAROTIDIENNE :

Le terrain des Patients

            Les sténoses carotidiennes se développent chez les patients hypertendus (40-70%), diabétiques (5-15%), dyslipidémiques, tabagiques et accompagnent fréquemment la maladie coronarienne (angor : 40-60%, antécédents d’infarctus : 30-60%) (1,2).

            La maladie carotidienne est un marqueur important d’atteinte coronarienne puisque 50 à 70% des décès dans cette population sont de cause cardiaque et pour une plus faible proportion de cause neurologique (1,2,3). Cette liaison entre accident coronarien et sténose carotidienne souligne la plurifocalité des atteintes de la maladie artéritique. L'évaluation préopératoire des patients est ainsi l'étape primordiale avant d'envisager toute chirurgie : prévenir la survenue de complications périopératoires, en particulier cardiaques, permet de diminuer la morbidité et surtout la mortalité venant grever le pronostic de l’acte chirurgical.

 

Les impératifs de cette chirurgie :

 

            Le délai de prise en charge entre l'accident neurologique et le traitement chirurgical de la lésion reste débattu. Les patients qui ont présenté un accident ischémique rapidement régressif sans altération de conscience et sans rupture de la barrière hémo-encéphalique au scanner, peuvent bénéficier d'une chirurgie précoce dans un délai inférieur à 4 semaines (6). Dans tous les autres cas, un délai supérieur à six semaines sera respecté.

S'il existe des sténoses carotidiennes bilatérales, un délai de 21 jours sera respecté entre les deux interventions (7,8). Dans le cas d'un infarctus du myocarde récent, le délai avant TEA sera dans la mesure du possible d'au moins trois mois.

Le traitement médical associe la réduction des facteurs de risque vasculaire (traitement de l'hypertension artérielle, arrêt du tabac, contrôle du diabète), l'introduction d'un traitement anti-aggrégant plaquettaire et le traitement d'une autre localisation de la maladie athéromateuse. Actuellement, en ce qui concerne la plupart des équipes, l'aspirine est poursuivie pendant toute la période opératoire, en raison d'un risque neurologique et cardiaque supérieur en cas d'arrêt de celle-ci.

 

Les risques de cette chirurgie :

 

LE CHOIX DU TYPE D’ANESTHESIE :

Deux techniques permettent actuellement la prise en charge opératoire des candidats à l’endartérectomie carotidienne : la plus fréquente des interventions sur l’artère carotide.

Quel que soit le choix de technique anesthésique, l'installation opératoire doit éviter toute hyperextension ou rotation latérale de la tête trop prononcée, à l'origine d'AVC controlatéraux en présence de lésion athéromateuse. Le monitorage peropératoire comprend les éléments habituels ; une attention particulière sera portée sur les systèmes nerveux et cardiovasculaires (cardioscope avec analyse du segment ST, mesure de tension artérielle non-invasive, capnométrie et analyse des gaz expirés, oxymétrie de pouls). Le monitorage neurologique a deux objectifs : premièrement dépister les ischémies dues au clampage, entraînant la constitution d'un infarctus cérébral, et deuxièmement poser l'indication d'un shunt, seul traitement supplétif du bas débit cérébral.

En préparation de l'anesthésie, la poursuite des traitements habituels, une bonne hydratation et une prémédication efficace préviennent au mieux l'instabilité hémodynamique périopératoire et l'anxiété du patient. Une héparinothérapie (50UI/Kg) est indispensable et primordiale avant clampage, elle sera poursuivie en postopératoire. Une antibioprophylaxie sera systématique.

Anesthésie générale :

L’anesthésie générale est la plus technique la plus fréquemment employée. Elle pose le double problème de l’équilibre hémodynamique périopératoire et du monitorage neurologique pendant la période de clampage artériel.

Il n'existe aucun consensus sur la nécessité d'un monitorage neurologique peropératoire ainsi que sur la meilleure méthode à employer (EEG, SvjO2, PES…), car aucune méthode instrumentale n’est suffisamment fiable pour permettre la détection d’ischémie focale (opérateur dépendance, interférence avec les agents anesthésiques, reflet global du débit sanguin cérébral). Il s'agit plus d'une question de convenance de chaque équipe. Après une revue de 1001 patients opérés d'une carotide sous anesthésie générale sans monitorage neurologique, HAMDAN et coll. concluent que la prévalence des accidents neurologiques n'est pas différente de celle rencontrée lors d'anesthésie avec monitorage (9). L'EEG peropératoire, méthode reconnue comme la plus sensible, ne lui apparaît donc pas indispensable.

Quelques points sont importants à garder à l'esprit. Premièrement, la protection cérébrale permettant de limiter le risque de séquelles en cas d'ischémie au clampage, repose sur la prévention de l'hypoxie et de l'hypercapnie (sans hypocapnie profonde). Elles sont responsables de vasodilatation et de vol vasculaire intracrânien. Deuxièmement, le maintien d'une hémodynamique convenable (proche des chiffres habituels du fait de la perte relative de l'autorégulation cérébrale chez l'hypertendu et le diabétique) et le traitement de l'hyperglycémie sont impératifs. Enfin, le choix des drogues anesthésiques doit aussi permettre un certain degré de protection cérébrale en diminuant la consommation cérébrale d'oxygène (CMR02). Historiquement, les barbituriques, par leurs propriétés anticonvulsivantes et protectrices cérébrales étaient les plus utilisées. Afin de juger de l'état neurologique du patient le plus rapidement possible, le choix s'oriente actuellement vers des anesthésiques d'élimination rapide, ayant moins de retentissement hémodynamique. En pratique, toutes les substances intraveineuses ou volatiles actuellement disponibles sur le marché permettent une diminution de CMRO2 avec une durée d'action compatible avec un réveil sur table et une récupération rapide des fonctions cognitives supérieures. Dans les mois à venir, la place de nouveaux monitorages (index bispectral) et des techniques d’AIVOC (meilleure tolérance hémodynamique, rapidité du réveil) se précisera.

L’anesthésie loco-régionale

L’anesthésie loco-régionale s’est développée dans cette indication dans les années 70. Deux techniques existent actuellement : l’anesthésie péridurale cervicale de réalisation plus délicate par rapport au bloc des plexus cervicaux profond et superficiel. Ces deux techniques permettent une surveillance clinique neurologique peropératoire, méthode la plus sensible de détection d’une souffrance cérébrale lors du clampage carotidien.

Les contre-indications et les précautions sont les mêmes que pour toute anesthésie loco-régionale : présence de troubles de la coagulation constitutifs (sans rapport avec un traitement anticoagulant), antécédents de néoplasies, de radiothérapie ou de curage ganglionnaire cervical, une infection au site chirurgical, le refus du patient.

La péridurale cervicale est une technique de réalisation très délicate réservée à des praticiens. Elle ne sera pas décrite dans cette présentation.

Le bloc cervical superficiel et profond est plus sûr à réaliser, d’apprentissage facile et son succès est constant. Elle consiste en l’injection fractionnée au contact des apophyses transverses des vertèbres C2, C3, C4 (ou une seule injection au niveau de C4) d’anesthésiques locaux (17). Une injection lente et prudente doit être pratiquée, ce d’autant que le plexus profond n’est pas contenu dans une gaine aponévrotique, comme le plexus brachial, et que le plexus superficiel se trouve dans une région sous-cutanée richement vascularisée (11).

Si le monitorage de l'EEG s'est révélé la plus sensible des méthodes instrumentales, c'est l'examen clinique du patient éveillé au cours de l'anesthésie locorégionale qui reste la méthode la plus simple et fiable d'évaluation de la tolérance du clampage carotidien - en particulier lorsqu'il existe une sténose controlatérale serrée (12) - . La survenue d'un déficit controlatéral, de troubles de vigilance, de crises convulsives fait alors discuter la mise en place d'un shunt, mais l’ALR impose une intervention rapide afin d'éviter l'inconfort de l'installation au patient. À l’opposé, le confort du patient et du chirurgien est maximal sous anesthésie générale (AG).

En outre, les techniques d’anesthésie loco-régionale permettent d’éviter les désordres hémodynamiques liés à l’anesthésie générale, ce qui représente un avantage non négligeable dans la population des candidats à la chirurgie vasculaire, connue pour son terrain coronarien. En postopératoire, les complications cardiovasculaires seraient plus fréquentes après anesthésie générale qu'après anesthésie loco-régionale (13). Dans une étude non-randomisée récente, l’anesthésie locorégionale semble associée à une prévalence moindre des AVC postopératoire, en comparaison avec l'anesthésie générale, et la période d’instabilité postopératoire apparaît significativement moins longue (13). Au contraire, LEE, dans une étude de 337 endartérectomies réalisées sous blocs cervicaux sur une période de 4 ans, retrouve une incidence des complications myocardiques inférieure à celle retrouvée sous anesthésie générale, pour une incidence des décès et des complications neurologiques comparables (14).

Toutefois, aucune étude prospective randomisée n’a pu jusqu’à aujourd’hui prouver la supériorité de l’une ou de l’autre des techniques employées (1). Les études randomisées, en nombre restreint, ne permettent pas de conclure en faveur de l'une ou l'autre des deux techniques. D'après une revue de la littérature publiée en 1997 par TANGKANAKUL, rien ne permet de trancher entre anesthésie générale et locorégionale (15). De même des études plus récentes, toutes rétrospectives, retrouvent des résultats différents. Seules des études randomisées incluant un grand nombre de patients permettraient de mettre en évidence une différence entre ces deux techniques.

CONCLUSION :

L’évaluation du terrain des patients et les risques liés à la chirurgie font que les enjeux de la prise en charge anesthésique des candidats à la chirurgie carotidienne dépassent la seule prise en charge peropératoire.

Actuellement, nous assistons à un intérêt croissant pour l’ALR (16). Toutefois le choix de l’une ou de l’autre technique est plus une affaire de choix de l’équipe médico-chirurgicale, que d’une réalité scientifique prouvée. Une étude prospective, randomisée, contrôlée, comparant anesthésie générale et anesthésie loco-régionale devrait débuter en Grande-Bretagne prochainement (17). Elle permettra peut-être de faire la part des choses entre ces deux techniques (17,18,19,20,21).

BIBLIOGRAPHIE :

1 : Clark NJ, Stanley TH. Anesthésie en chirurgie vasculaire. In Miller RD, eds. Anesthésie. Paris : Flammarion, 1996 : 1851-1896.

2 : Bonnet F. Anesthésie en chirurgie vasculaire. In Samii k, ed. Anesthésie et réanimation chirurgicale.Paris : Flammarion 1992 : 560-577.

3 : ANAES. Recommandations et références médicales 1997. Sténoses de l’origine de la carotide interne cervicale et de la bifurcation carotidienne : chirurgie et angioplatie. J Mal Vasc 1998 ; 23 : 125-43.

4: European Carotid Surgery Trialist’s Collaborative Group. MRC European carotid trial : interim results for symptomatic patients with severe (70-99%) or mild (0-29%) carotid stenosis. Lancet 1991 ; 337 : 1235-43

5 : North American SymptomaticCarotid Endarterectomy Trial Collaborators. Beneficial effect of carotid endarterectomy in symptomatic patients with high-grade carotid stenosis. N Engl J Med 1991 ; 325 : 445-53

6 : Paty PS, Darling RC 3rd, Woratyla S, Chang BB, Kreienberg PB, Shah DM. Timing of carotid endarterectomy in patients with recent stroke. Surgery 1997 Oct;122(4):850-4; discussion 854-5.

8 : Pritz MB. Timing of carotid endarterectomy after stroke. Stroke 1997 Dec;28(12):2563-7.

7 :  Coyle KA, Smith RB 3rd, Salam AA, Dodson TF, Chaikof EL, Lumsden AB. Carotid endarterectomy in patients with contralateral carotid occlusion: review of a 10-year experience. Cardiovasc Surg 1996 Feb;4(1):71-5.9 : Hamdan AD, POmposelli FB, Gibbons GW, Campbell DR, Logefo FW. Perioperative strokes after1001 consecutive carotid endarterectomy procedures without an EEG. Arch Surg 1999 ; 134 : 412-15.

10 : Riles TS, Imparato AM, Jacobowitz GR, Lamparello PJ, Giangola G, Adelman MA, Landis RN. The cause of perioperative stroke after carotid endarterectomy. J Vasc Surg 1994 Feb;19(2):206-14; discussion 215-6.

11 : Kuhlman G. Les blocs cervicaux : importance de l’éspace de diffusiondes anesthésiques locaux. In : L’anesthésie loco-régionale - J.E.P.U. Paris : Arnette 1994 ; 137 - 147.

12 : Calligaro KD, Hass B, Westcott CJ, Savarese RP, DeLaurentis DA. Risk of prophylactic contralateral carotid endarterectomy. Ann Vasc Surg 1992 Mar;6(2):147-52

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13: Angell J. The effect of carotid endariectomy on the mechanical properties of the carotid sinus and carotid sinus nerve activity in atherosclerotic patients. Br.J. Surg 1974 ; 61 : 805-637.

14 : Adelman MA, Jacobowitz GR, Riles TS, Imparato AM, Lamparello PJ, Baumann FG, Landis R. Carotid endarterectomy in the presence of a contralateral occlusion: a review of 315 cases over a 27-year experience. Cardiovasc Surg. 1995 15 : Tangkanakul C, Counsell CE, Warlow CP. Local versus general anaesthesia in carotid endarterectomy : a systematic review of             the evidence. Eur J Vasc Endovasc Surg 1997 May;13 : 491-9

17 : Stoneham M D, Knighton J D. Régional anaesthésia for carotid endarterectomy. Br J Anaesth 1999 ; 82 : 910-19

18 : Pandit JJ, McLaren ID, Crider B. Efficacy and safety of the superficial cervical plexus block for carotid endarterectomy. Br J Anaesth. 1999 Dec;83(6):970-2

19: Johnson TR. Transient ischaemic attack during deep cervical plexus block.. Br J Anaesth. 1999 Dec;83(6):965-7.

20: Wildsmith JA. Regional anaesthesia for carotid endarterectomy. Br J Anaesth. 1999 Oct;83(4):688-9

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